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Réflexion sur la «Série Transparents» 1997-2001

Lorsque j’ai créé « Tête & Corps n°68 » en 2001, mon but était de repenser la manière dont le corps humain est perçu, non plus comme une entité solide, mais comme une figure transparente, capable de se dissoudre et de disparaître sous nos yeux. Cette œuvre s'inscrit dans une série où j'ai exploré le phénomène de la transparence à travers divers matériaux et représentations. L'idée était d'utiliser la transparence pour révéler à la fois ce qui est visible et ce qui est caché, jouant sur l'ambiguïté de la perception.

Sur le plan technique, l’utilisation de l’acrylique sur fibre polyester m’a permis de travailler directement avec la transparence matérielle. Le polyester, par sa nature translucide, modifie la manière dont la lumière traverse l’œuvre, créant une superposition de couches qui flottent entre opacité et clarté. La transparence physique, en tant que phénomène optique, permet à la lumière de traverser la matière sans diffusion, offrant une clarté tout en laissant transparaître une perte de solidité du corps humain.

 

En 2001, cette idée d’un corps humain se fondant dans son environnement me semblait essentielle pour questionner notre rapport à la matière et au visible.

Cependant, au-delà de la transparence physique, la transparence était également pour moi une métaphore puissante. Je cherchais à mettre en lumière l’idée que la transparence n’est pas seulement une qualité visuelle, mais aussi une volonté de rendre visible ce qui est habituellement caché. Ce jeu entre révélation et dissimulation traverse toute la série « Transparents », notamment dans le paysage en arrière-plan recouvert de neige et plongé dans la nuit, accentuant l’idée d’un effacement progressif. Le corps, bien qu’encore visible, commence à se dissoudre dans un environnement hostile, presque glacial, où la frontière entre le visible et l’invisible devient floue.

Sur le plan symbolique, la transparence porte en elle des connotations plus sombres. Dès 2001, je m'interrogeais sur l’idée de la transparence totalitaire, un concept souvent discuté dans des textes philosophiques et politiques. Dans une société où la transparence devient une obligation, elle peut se transformer en un outil de contrôle absolu, où chaque aspect de l'individu est scruté, et où il ne reste plus d'espace pour le secret ou l’opacité. Cette réflexion me renvoyait à l'idée que la transparence, loin de n’être qu’un idéal démocratique, pouvait devenir une arme de surveillance et de domination. La disparition de la frontière entre l’espace public et privé conduit à une érosion de l’intimité, où l’individu devient transparent aux yeux du pouvoir.

23 ans après sa création, à la lumière des réflexions issues de "Transparency: The Material History of an Idea" de Daniel Jütte, je perçois cette œuvre avec une nouvelle profondeur. Jütte montre que la transparence n’est pas simplement un phénomène physique, mais un concept culturel qui a évolué au fil du temps. Il explique comment, dans l’histoire occidentale, la transparence est devenue synonyme d’exposition totale, notamment à travers l’usage du verre dans l'architecture. Ce processus d’exposition, qui permet la lumière et la clarté, est aussi porteur d’un coût social : celui de la surveillance et de la dissolution de l’individu dans un espace visible.

 

Mon travail s’inscrit, rétrospectivement, dans cette dynamique où la matière, la lumière, et la théorie interagissent pour explorer la fragilité de la visibilité humaine.

En revisitant « Tête & Corps n°68 », je comprends mieux comment la transparence, initialement abordée sous un angle technique et esthétique, touche à des enjeux plus vastes liés à la surveillance et à la vulnérabilité dans un monde où l’exigence de transparence devient une forme de pouvoir.

Référence bibliographique :

Jütte, Daniel. Transparency: The Material History of an Idea. Yale University Press, 2023.

Ci-dessous : 

« Série Transparents »,

« Tête & Corps n°68 »2001, acrylique sur fibre polyester et bois, 147 × 115 × 4 cm

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