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"Les '240 fins possibles' : Exploration de la Multiplicité Identitaire et de la Modernité Liquide"

En 2009, alors que je travaillais sur une série de dessins en lien avec la psychiatrie, une expérience inattendue a marqué mon parcours artistique. Je suis tombé par hasard sur une annonce des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg pour un séminaire intitulé :

"Ces schizophrénies qui guérissent et ces troubles bipolaires qui dégénèrent : schizophrénie et troubles de l'humeur, continuum ou dichotomie simpliste ?"

Ce qui m'a interpellé, c'était l'utilisation sans mon autorisation d'une de mes œuvres pour illustrer cet événement. Cette appropriation non consentie de mon travail m'a donné l'impression que mes dessins m'échappaient, comme s'ils émanaient d'une autre personne que moi.

En 2014, une situation similaire s'est produite. Mes recherches sur Internet m'ont conduit à un article de Télérama dans la rubrique Radio & Podcasts, intitulé "Confidences d’un schizophrène, sur Arte Radio" par Carole Lefrançois. Là encore, j'ai découvert avec surprise l'utilisation non autorisée d'un de mes dessins pour illustrer cet article.

Ces incidents ont profondément influencé ma réflexion sur l'identité et la fragmentation de l'ego, thèmes centraux de mon projet "Les 240 fins possibles". L'idée que mes œuvres puissent vivre indépendamment de moi, comme si elles étaient l'expression d'une autre personne, a alimenté mon intérêt pour la schizophrénie en tant que métaphore artistique. Cette sensation d'échappement de mes créations a renforcé ma volonté d'explorer la multiplicité des identités à travers les 240 Doubles Créatifs, chacun incarnant une version alternative de moi-même.

C'est ainsi que j'ai entrepris l'exploration des "240 fins possibles" et de leurs 240 Doubles Créatifs, me plongeant dans une investigation manifeste de la multiplicité des identités. Ce projet touche à une forme de schizophrénie métaphorique, évoquant l'idée de fragmentation de l’ego. Chaque double créatif incarne une version alternative de moi-même, suivant des parcours artistiques divergents et reflétant l'éclatement de l'unicité individuelle.

La Modernité Solide et Liquide de Bauman : Vers une Multiplicité Identitaire

Ce phénomène résonne avec mes réflexions sur l'identité contemporaine, notamment celles inspirées par Zygmunt Bauman et son concept de modernité liquide. Dans ma compréhension de La Modernité Liquide (2000) de Zygmunt Bauman, je suis frappé par sa distinction entre la modernité solide et la modernité liquide. La modernité solide fait référence aux sociétés industrielles du passé, caractérisées par des structures sociales stables et des identités fixes. En revanche, la modernité liquide décrit notre époque contemporaine, marquée par la fluidité des identités et des structures sociales.

Les individus sont désormais constamment en mouvement, en quête de nouvelles versions d'eux-mêmes, naviguant dans un monde d'incertitudes et de changements rapides. Les "240 fins possibles" illustrent cette idée en multipliant les trajectoires artistiques, chacune proposant un chemin alternatif que j'aurais pu suivre dans une réalité parallèle. Cette multiplicité d'identités fragmentées et changeantes rejoint la logique de Bauman, selon laquelle nous ne cessons de nous redéfinir en fonction des circonstances sociales, politiques et économiques.

Schizophrénie Postmoderne : Vers une Identité Plurielle

Le terme de schizophrénie, que j'utilise ici de manière métaphorique, fait également écho aux idées de Fredric Jameson dans son analyse de la postmodernité (Le Postmodernisme, ou la logique culturelle du capitalisme tardif, 1991). Jameson utilise la schizophrénie comme métaphore pour décrire comment la culture postmoderne dissocie les individus de tout ancrage temporel ou historique. Dans le cadre des "240 fins possibles", chaque double créatif est détaché de son histoire linéaire, offrant une version alternative d'une identité éclatée.

Ces multiples identités interrogent la stabilité de l'ego et jouent avec l'idée d'une œuvre créative qui ne s'enracine pas dans une continuité unique, mais se décline en variations. Cette approche remet en question la notion traditionnelle d'une identité cohérente et stable, suggérant plutôt une pluralité d'existences possibles.

Schizophrénie et Multiplicité

L'œuvre de Judith Butler, notamment dans Trouble dans le genre : Pour un féminisme de la subversion (1990), enrichit également mon analyse. Butler explore la performativité de l'identité, montrant comment celle-ci est construite par des actes répétés plutôt qu'essentiellement fixe. Cette idée d'une identité performée et en constante construction entre en écho avec le concept des "240 fins possibles", où chaque double créatif réinterprète des aspects de mon identité à travers une trajectoire singulière.

De plus, Deleuze et Guattari, dans Capitalisme et Schizophrénie, tome 1 : L'Anti-Œdipe (1972), abordent la fragmentation de l'identité sous l’angle des flux de désir et des lignes de fuite. Pour eux, la schizophrénie devient un modèle de production de l'être, un éclatement des structures fixes qui libère la créativité au-delà des cadres institutionnels. Cette idée se reflète dans mon EDC (Équation de la Dynamique Créative), où des variables fluctuantes influencent les trajectoires artistiques dans un espace de possibilités infinies.

Approfondissement de la Réflexion : L'Identité à l'Ère Numérique

En poursuivant cette exploration, je constate que l'ère numérique accentue encore cette multiplicité identitaire. Les réseaux sociaux et les avatars en ligne nous permettent de nous présenter sous différentes facettes, modifiant et reconfigurant notre image en fonction des plateformes et des audiences. Cette réalité virtuelle offre un terrain fertile pour expérimenter avec nos identités, rejoignant les concepts de performativité de Butler et le désancrage temporel de Jameson.

Par ailleurs, les théories de l'identité narrative de Paul Ricoeur (Temps et récit, 1983-1985) m'inspirent dans la conception de chaque double créatif comme une histoire distincte, une narration alternative de moi-même. Ricoeur soutient que l'identité se construit à travers le récit de notre vie, ce qui correspond à ma démarche de créer 240 récits possibles.

Conclusion Prospective :

Quelles nouvelles perspectives sur l'identité humaine émergeront de cette exploration des "240 fins possibles" ? La modernité liquide et la schizophrénie métaphorique que j'interroge peuvent-elles nous aider à repenser la notion d'ego dans un monde en constante évolution ? Sommes-nous condamnés à une fragmentation incessante, ou cette multiplicité peut-elle devenir une source de richesse créative et personnelle ?

En m'inspirant de penseurs comme Bauman, Jameson, Butler, Deleuze, Guattari et Ricoeur, je me questionne sur la manière dont l'individu contemporain peut naviguer entre ces identités fluctuantes. Ces parcours créatifs variés ouvrent-ils la voie à de nouvelles formes d'expression artistique, plus en phase avec la complexité de notre époque ? Enfin, comment cette exploration peut-elle contribuer à une meilleure compréhension de soi et des autres dans une société en perpétuelle mutation ?

Références :

  • Bauman, Z. (2000). La Modernité Liquide. Traduit par Isabelle Chaise. Éditions du Rouergue.

  • Jameson, F. (1991). Le Postmodernisme, ou la logique culturelle du capitalisme tardif. Traduit par Christophe David. Éditions ENSB-A.

  • Butler, J. (2005). Trouble dans le genre : Pour un féminisme de la subversion. Traduit par Cynthia Kraus. Éditions La Découverte.

  • Deleuze, G., & Guattari, F. (1972). Capitalisme et Schizophrénie, tome 1 : L'Anti-Œdipe. Les Éditions de Minuit.

  • Ricoeur, P. (1983-1985). Temps et récit. Éditions du Seuil.

«Série 240 fins possibles» 91 parmi 240, 2016-2017, impression photographique sur dibon, d

91 Doubles Créatifs parmi 240, 2016-2017, 91 impressions photographiques sur dibon, 15 x 15cm. Collection Privée et Collection de l'artiste.
 

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